Classes moyennes, de qui parle-t-on ?
Edito mis en ligne le 10 décembre 2007 à l’occasion de la tenue du colloque "Classes moyennes et politiques publiques" organisé par le Centre d’analyse stratégique au Palais du Luxembourg.
Le constat sur la situation des classes moyennes françaises paraît bien établi. Situées à la croisée des débats d’actualité (pouvoir d’achat, accès au logement, réforme de la fiscalité, etc.), les classes moyennes seraient aujourd’hui en « désarroi » ou à la « dérive » selon les analystes. Ce constat est d’autant plus alarmant qu’elles constituent le cœur de la société française : leur malaise tendrait ainsi à menacer son équilibre, d’un point de vue économique, politique et social. Au-delà de ce consensus, une question cruciale demeure toutefois : lorsque l’on évoque la situation des classes moyennes, de qui parle-t-on ?
Les classes moyennes sont régulièrement invoquées, mais rarement définies. Cela peut s’expliquer par les réelles difficultés à les identifier. Plus avantagées que les groupes les moins favorisés, mais moins que les couches les plus aisées de la population, ces classes moyennes se situent dans un « entre-deux ». Ces strates intermédiaires semblent plus délicates à saisir dans leur singularité que les deux autres groupes, a priori plus facilement saisissables (« les plus pauvres » et « les plus riches »).
Trois types de critères aident cependant à identifier ces classes moyennes, marquées par une grande hétérogénéité :
- la perception que les individus ont de leur propre position dans l’échelle sociale ;
- la profession et le mode de vie adoptés ;
- le niveau de revenus.
En combinant ces critères, plusieurs définitions sont possibles, chacune recouvrant des enjeux distincts.
Dans les discours de nombreux acteurs, la définition implicitement retenue est extensive : 80 à 95 % de la population sont considérés comme faisant partie des classes moyennes.
Elle se fonde sur l’idée d’une communauté de destins partagée par les personnes ayant des revenus qui proviennent pour l’essentiel de salaires et de pensions, par opposition aux individus situés au sommet et à la base de la hiérarchie pour qui, respectivement, le patrimoine et les prestations sociales représentent une part non négligeable de revenus. Or, si un ouvrier spécialisé à quelques mois de la retraite et un jeune polytechnicien en début de carrière peuvent être considérés, du fait d’un niveau de revenu identique, comme appartenant aux classes moyennes, leurs situations et leurs trajectoires demeurent très dissemblables.
Retenir cette définition extensive est donc loin d’être sans conséquence. Cela contribue à gommer les inégalités de situation et de destin alors qu’elles peuvent être fortes. Au-delà, ce choix a des effets concrets majeurs. Cette perception d’une classe moyenne qui rassemble la grande majorité de la population française inspire en effet très largement l’action publique. De nombreuses réformes sont justifiées au nom de cette catégorie, numériquement massive, alors que, concrètement, les effets de ces politiques publiques ne concernent qu’une partie des classes moyennes. Si cela peut parfois être le résultat d’une stratégie consciente d’un certain nombre d’acteurs politiques, il demeure que cette conception extensive peut engendrer des erreurs d’analyse. Ces dernières entraînent à leur tour de réelles difficultés de conception stratégique et de ciblage pour les politiques publiques.
Mieux définir les classes moyennes répond donc non seulement à une exigence de rigueur intellectuelle, mais aussi à un véritable enjeu pour l’action publique.
Dans cette perspective, le Centre d’analyse stratégique organise lundi 10 décembre 2007 le colloque « classes moyennes et politiques publiques » pour les chercheurs, experts, acteurs sociaux, élus, étudiants et le grand public.
C’est en effet à partir d’un travail rigoureux de décryptage des réalités sociales vécues par ces groupes sociaux qu’il sera possible d’identifier la nature exacte des problèmes qu’ils rencontrent et de proposer les politiques publiques les mieux adaptées pour y remédier.
Virginie Gimbert
Département Questions Sociales
Centre d’analyse stratégique
10 décembre 2007
Les ACTES de ce colloque seront mis en ligne sur www.strategie.gouv.fr d’ici fin janvier 2008.
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L’équipe éditoriale
Pour se défaire de quelques idées reçues sur "les classes moyennes"
Les publications du Centre d’analyse stratégique sur "les Classes moyennes" :
Portrait social des Français en Europe
Rapport annuel 2006 "La société française : entre convergences et nouveaux clivages"
Les ressources
- Note de veille n°54 - Les classes moyennes en quête de définition
- Note de veille n°74 - "Classes moyennes" et redistribution : le cas français dans une perspective internationale